Paul-André Proulx

Littérature Québécoise

Dionne, Germaine

2. Éd. du Boréal, 2004, 130 p.

Relations mère-fille


Pour chacun de ses deux romans, Germaine Dionne aborde les relations parentales. Avec Tequila bang bang, elle retrace le parcours d'une femme qui, après un séjour aux États-Unis, est retournée dans son village, situé non loin de Baie-Comeau.

Avant d'être une œuvre qui décrit les rapports d'une mère et de sa fille, c'est une œuvre qui fait ressortir l'oisiveté pernicieuse qui envahit les villages qui souffrent d'une économie en perte de vitesse à cause des entreprises vétustes qui ferment leur porte les unes après les autres après avoir raté le virage technologique des récentes décennies. Et comme le fleuve est vidé de sa morue, il ne reste plus à la population peu qualifiée qu'à attendre une nouvelle manne dans le bar du village, en occurrence Le Viking, propriété d'un Français qui espère s'enrichir aux dépens des désœuvrés.

Ce cadre sert d'appui au roman, qui étale sans pudeur la vie d'une femme incapable de vivre à la hauteur de ses aspirations, et qui s'est consolée avec le sexe et la tequila bang bang (mixe seven up et grenadine). Partie vivre en Floride avec l'un de ses amants, elle revient, à cause de la maladie, dans son patelin où elle espère habiter la maison qu'elle a vendue à sa fille trois ans plus tôt. Cette dernière, revenue de Montréal où elle travaillait comme traductrice, ne l'entend pas de la même façon, d'autant plus que sa mère aurait préféré la voir s'étioler " au fond d'une capote ". Leurs relations à couteaux tirés sont évidemment connues de tous les villageois, dont les principales activités sont de s'épier et de s'enivrer. À tour de rôle, les personnages viennent donner comme narrateur leur version de la situation, soulignant certains faits d'arme, mais surtout le caractère passionné de ces deux femmes vouées à la haine, même dans la mort. En somme, l'auteure trace des parcours oubliés par le bonheur. La fille a vécu quelques joies avec son père, un mécanicien disparu le jour de ses huit ans. Nono, l'épicier dépanneur du coin, l'a déjà gardée alors qu'il était adolescent. Avec lui, elle trouvait un peu de tendresse. Hormis ces brefs moments heureux, sa vie se résume à celle de sa mère : aller boire des tequilas bang bang au bar.

Ce village abandonné à lui-même ressemble en tous points à ceux qui subissent le drame de la désaffectation par les plus instruits que l'on hait et que l'on envie parce qu'ils ont su quitter à temps un milieu qui réduit ses habitants à la médiocrité. Pour secouer cette atmosphère déprimante, on organise des réjouissances débiles comme le concours du plus grand mangeur de hot dog. Le nombre impressionnant de festivals qui se tiennent chaque été au Québec prouve assez éloquemment qu'on ne sait plus que faire pour se débarrasser de la guigne qui frappe des agglomérations, privées parfois de leur école, voire même de leur église, recyclées en restaurant ou en théâtre d'été.

L'auteure parcourt sans linéarité ces tristes vies, respectant de par son écriture la truculence de la population qui veut, le temps d'une soirée, oublier ce qui l'affecte. Le propos manifeste une grande compassion pour ces gens qui, sous l'effet de l'alcool, s'envoient " chier " en toute amitié. Il ne faut pas être bigot pour apprécier cette œuvre qui s'attache aux âmes humiliées et malheureuses de notre société. Malgré certaines maladresses narratives, ce roman pointe, somme toute, les manques d'amour qui détruisent les ponts entre les humains.