Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Agnant, Marie-Célie

Un alligator nommé Rosa.

Éd. du Remue-ménage, 2007, 238 p.

Les Purges en Haïti

Derrière le rideau des montagnes dressé devant la Méditerranée se cache Rosa, la "reine choche", telle que l'on appelle la responsable des purges commandées par le bon Doc Duvalier. Ce père maudit de la nation haïtienne confiait aux femmes l'extermination de ses prétendus opposants parce qu'il croyait, en bon macho, que la gent féminine était plus douée à la tête d'une mission mortifère en raison de leur cruauté comparable à celle de l'alligator.

Avec ses "gazelles féroces", Rosa a ratissé le pays jusqu'à la mort du tyran. Elle a fui alors à Gourdaix en France pour ne pas subir à son tour la médecine purgative de son successeur, le propre fils du dictateur que l'on appelait affectueusement Baby Doc. La marâtre a emmené, avec elle la jeune Laura, une femme qu'elle avait prise, enfant, sous son aile. Sur ce canevas, l'auteure a peint le tableau des âmes humiliées qui ont survécu aux exactions d'"oiseaux fous", comme Dany Laferrière qualifie les dirigeants haïtiens. Elle incarne la haine de deux rescapés de l'île de la mort, soit la protégée du monstre, qui lui est encore soumise, et Antoine Guibert, un écrivain qui a débusqué Rosa afin de lui faire avouer ses crimes avant de l'éliminer. Ce dernier compte sur Laura dans l'atteinte de son objectif. L'essentiel du roman repose sur leurs palabres pour déterminer le moyen le plus propice à l'assouvissement de leur désir de vengeance.

Cette intrigue traîne trop en longueur et en considérations redondantes pour soutenir entièrement l'intérêt du lecteur. Hormis le bémol, Marie-Célie Agnant a quand même mené son projet d'écriture avec art. Elle reprend ici la figure d'Emma sous les traits d'Antoine, un homme qui cherche à évacuer un passé entaché d'abjection entretenue par les dignes ecclésiastiques qui ont troqué, pour des faveurs, "leurs ouailles bonnes pour l'abattoir ". Elle parvient à nous sensibiliser au sort des Haïtiens, qui, même dans leur amère patrie, ont été réduits à des citoyens de seconde zone. Plusieurs ont traîné cette blessure jusque dans l'exil, telle que le démontre Côte-des-Nègres, un roman de Mauricio Segura sur les gangs de rue.