Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Lalonde, Robert.

Un jardin entouré de murailles. Éd. Boréal, 2002, 195 p.

Vie littéraire et amoureuse de Marguerite Yourcenar

Flaubert s'identifiait à Madame Bovary. Semble-t-il qu'on pourrait en dire autant de Marguerite Yourcenar et d'Hadrien, l'empereur qui fit d'Antinoüs son favori. Robert Lalonde s'est inspiré des biographies et des oeuvres du célèbre écrivain pour concocter un roman, qui évoque son univers littéraire et amoureux. Le cœur de l'intrigue repose sur une tournée de conférences prononcées au Québec en 1957 par Marguerite Yourcenar. Grace Frick, la secrétaire américaine qui l'accompagne, sera mise à rude épreuve quand elle trouvera un billet sur lequel elle lit ce qui suit : " M. déteste irrévocablement G. et bientôt s'en détachera. "

Les deux femmes quittent donc Petite Plaisance en train à destination de Montréal, où elles arrivent pendant l'été indien. Après une conférence tenue dans un sous-sol d'église, rempli en grande partie d'un clergé ahuri par l'impudeur de ses propos, le duo se dirige vers Ottawa pour continuer la tournée. Malheureusement, à Montebello, Marguerite Yourcenar est hospitalisée suite à une insuffisance cardiaque. C'est à partir de cet incident que le roman prend son élan pour plonger dans l'âme de cette auteure que Robert Lalonde " admire au-delà de tous et toutes ".

Ce roman est un voyage dans tous les sens du mot. On visite les principaux attraits de Montréal et les environs de Montebello, qui rappellent les paysages rustiques de Breughel. Quant à Grace Frick, elle profite du séjour de son amie à l'hôpital pour aller à la pêche. Elle capture même un petit maskinongé, mais cette activité vise surtout à lui faire oublier le fameux billet de Marg, diminutif désignant sa maîtresse. Comme pour tous les couples du monde, une rupture envisagée est suffisante pour chambouler l'être le plus équilibré de la terre. Elle n'est pas intéressée de retourner dans son Kansas natal, où ses " bourreaux de frères " ne considèrent la femme qu'avec un tablier autour de la taille. Affaiblie par une mammectomie récente, elle se prépare à cette séparation, qui s'annonce d'autant plus douloureuse qu'elle avait trouvé, auprès de Marg, l'occasion rêvée de satisfaire ses intérêts culturels.

Quant à l'héroïne principale, elle apparaît comme un monstre sacré, incapable de la moindre contrariété. Il faut l'entendre reprendre les Québécois, qui l'indisposent avec leur langage. Heureusement, grâce à son séjour obligé à Montebello, sa vie prend un nouveau tournant. Comme elle malmène ceux qu'elle aime, son médecin traitant du Québec lui fait réaliser ses contradictions. Comment peut-on avoir si bien décrit l'amour d'Hadrien quand on est incapable de sortir de soi-même pour mener une vraie vie amoureuse? Cette observation est l'élément déclencheur qui pousse Marg à s'initier à la pratique de l'amour dans sa propre vie. En plus de suivre ce cheminement, on parcourt aussi son univers littéraire. On apprend comment une oeuvre se construit. C'est d'ailleurs au Québec qu'elle a développé le personnage d'Un homme obscur, un alter ego du médecin de Montebello.

Beaucoup d'ombre plane sur ce roman. On peut discuter de la trame, composée d'éléments qui s'amènent comme un cheveu sur la soupe. Bref, le tissage n'est pas assez serré. Par exemple, les liens de la célèbre patiente avec son médecin sont assez improbables. Certains passages rappellent les drames joués à l'opéra. Les réactions des personnages se limitent souvent à des pleurs, des cris ou des évanouissements. À d'autres moments, on croirait lire l'aventure rocambolesque d'un roman jeunesse. Et les tentatives humoristiques risquent également de rater la cible auprès des lecteurs plus âgés. Enfin, il est visible que Robert Lalonde a écrit ce roman pour plaire à l'Hexagone. D'abord, il se montre un fin connaisseur de la littérature de nos cousins. Puis il les racole avec les clichés les plus éculés, telles les particularités terminologiques et syntaxiques de notre parler. Et l'auberge, où Grace séjourne, rappelle Ma cabane au Canada que chantait Charles Trenet. Avec humour, l'auteur s'est approprié aussi les tendances hexagonales, en parsemant les dialogues de phrases tirées d'un cours d'anglais 101.

Nonobstant les nombreuses faiblesses de son roman, Robert Lalonde rend hommage à tous les écrivains, dont il évoque constamment le souvenir, en particulier Gide et Montherlant qui sont mêlés au dénouement. Le plus intéressant, c'est que l'auteur ait choisi une héroïne célèbre, invitée à faire sienne sa connaissance du sujet. Bref, c'est une oeuvre sur le sens d'aimer et sur l'art d'écrire.