Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Bellefeuille, Normand de.

Un poker à Lascaux.

Éd. Québec Amérique, 2010, 194 p.

Quatre Québécoises vont visiter la grotte de Lascaux en France.

Chaque soir, quatre Montréalaises de la même famille s’attablent après le repas du soir autour d’un mauvais sherry pour jouer une partie de poker avec des cartes plastifiées qu’elles ont achetées lorsqu’elle se sont rendues dans le Périgord noir pour visiter la grotte de Lascaux. La tribu n’est pas pour autant grotesque quand l’une des tantes du narrateur Simon manifeste son impatience quand la pisse (annonce de la mise) tarde : « C’est l’fun en calvaire quand c’est joué à peu près dans même journée c’game-là! »

La toile de fond repose sur cette caverne tapissée de peintures d’animaux conservées en parfait état après 17,000 ans. L’intérêt de ces dames pour la grotte remonte à 1950 lorsqu’en allant voir Autant en emporte le vent, on a projeté, avant le blockbuster de l’époque, un documentaire sur la dite grotte, repérée par des adolescents lors d’un glissement de terrain survenu en 1940. À partir de ce jour, elles ont économisé jusqu’en 1963, année où elles ont pu s’envoler pour la France.

La trame sert de prétexte à l’autobiographie romancée de l’auteur, qui a vécu dans une famille au sein de laquelle trônaient des femmes bonnes comme du bon pain en dépit de l’apparence rugueuse de leurs sentiments. Femmes drôles, en particulier la grand’mère qui tente de se redresser les jambes à grands coups de bottin téléphonique. Comme dans Votre appel est important, ce sont leurs obsessions qui tiennent lieu de suspense. Leur curiosité brisera-t-elle les liens familiaux ? Sous la férule d’une aïeule forte en gueule, on se sent bien à l’aise au 4843 rue des Érables, quitte à bluffer pour tirer ses marrons du feu. En fait, chacun protège sa caverne pour survivre à l’instar de la grotte de Lascaux que l’on a interdit au grand public à cause du souffle humain, qui altère le trésor qu’il renferme.

Roman allégorique, dont la facture frappe encore davantage. Il se présente comme le travail d’un maître verrier, dont les pièces de verre reposent sans ordre sur sa table. L’auteur étale des tranches de vie anecdotiques. Ce n’est que le livre lu que l’on voit l’œuvre dans toute sa splendeur. Chaque chapitre, pouvant se lire dans le désordre, fait écho à l’esprit qui anime cette famille, dont Simon a hérité l’art de bluffer dans le cadre d’une complicité, qui ne berne personne en réalité, sauf le lecteur que l’auteur mystifie avec brio en lui servant en filigrane un cours 101 sur l’art romanesque. Bref, sous la plume de Normand de Bellefeuille, ce merveilleux roman populaire acquiert ses lettres de noblesse comme ceux de Michel Tremblay, qui évoquent le même quartier, voire les écoles de la même paroisse, soit celles de Saint-Pierre-Claver avec son célèbre pensionnat des Saints-Anges.