Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Mouawad, Wajdi.

Visage retrouvé. Éd. Leméac, 2002, 211 p.

Un enfant de la guerre du Liban

Wajdi Mouawad est un jeune Libanais qui vit à Montréal, où il est connu pour sa contribution à la vie théâtrale. Visage retrouvé est son premier roman. L'auteur plonge le lecteur dans l'univers fantasmagorique que s'est inventé un enfant pour se sortir des horreurs de la guerre du Liban, telles qu'évoquées par La Danse d'Issam de Paule Noyart.

À partir du visage d'une femme apparue dans un autobus incendié avec ses usagers, Wahab, le héros, jadis heureux avec sa famille, se construit un monde parallèle, qui connaîtra son paroxysme à l'adolescence pour se terminer à dix-neuf ans alors qu'il attend avec fébrilité l'exposition de ses toiles dans une galerie de Montréal, où ses parents sont venus s'établir après qu'une bombe eût explosé dans le jardinet attenant à leur maison.

Freud aurait aimé cette oeuvre qui expose à merveille ses théories sur l'onirisme. On y trouve les mécanismes subtils que l'on déploie pour vaincre ses peurs. Il aurait aussi apprécié de voir que la défense s'organise autour de l'image de la femme, qui est au cœur du jeune mâle en formation. La coupure ombilicale coïncide malheureusement pour Wahab avec les affres de la guerre. Sa révolte naturelle se double ainsi de celle engendrée par un déracinement qui vient priver quelqu'un des joies de son enfance. Dans la partie montréalaise de l'œuvre, l'auteur l'exprime en employant le vocabulaire québécois spécifique à cette manifestation.

Ce merveilleux roman n'est pas le fruit d'une âme désespérée. Au contraire, il y a une lumière au bout du tunnel. La fugue de Wahab à quatorze ans lui sera salutaire. C'est en partageant son monde imaginaire avec celui d'un vieillard mourant qu'il deviendra " capable de s'arracher à la laideur d'un monde dans lequel on essayait de l'engager ". La peinture sera aussi un exutoire qui lui permettra de fixer sur la toile les visages de ceux qui l'ont étouffé, surtout celui de la femme de l'autobus qu'il confond avec celui de sa mère. Wahab aura passé son adolescence à chercher le vrai visage de cette femme dont il massait les pieds la nuit quand son cancer rendait ses souffrances intolérables. Pour vivre avec sérénité, il s'est appliqué à le retrouver malgré le fatras social qui brouillait les pistes. Quand on réussit à fixer le portrait de sa mère au mur, on peut commencer sa vie d'adulte. C'est ce qui arrive au héros.

C 'est un narrateur discret qui raconte avec simplicité cette histoire d'exil psychologique et physique. Ceux qui ont lu La Vie est ailleurs de Milan Kundera feront sûrement un lien avec cet ouvrage dans lequel le héros vit sous l'emprise de la férule maternelle et idéologique.